Je me retourne, j’ouvre l’œil, un filet de clarté passe par la porte entrouverte, je fixe les chiffres du réveil qui brillent dans la nuit : 8H, c’est l’heure !
Il faut se lever, j’ai plus d’1H de retard sur mes habitudes !
Je déjeune tout en écoutant les informations à la radio.
Quelques instants plus tard, j’ouvre le livre que j’ai commencé lors du confinement : « Ceux de 14 »
Je plonge dans la guerre de 1914 avec Maurice Genevoix, jeune lieutenant qui relate la vie dans les tranchées au jour le jour !
Je vous propose de comparer le confinement des soldats dans les tranchées entre 1914 et 1918, et notre confinement en mars, avril et mai 2020 :
Comme chaque matin, je me rends dans la salle d’eau, je tourne le robinet et l’eau coule, à la température voulue : froide – tiède –chaude ! Faut-il s’en étonner ? Aujourd’hui en France, l’eau courante est dans toutes les maisons et à tous les étages ! Normal, nous sommes en 2020 !
Je pense à « Ceux de 14 »
« …Ce matin les escouades sont montées, une par une, jusqu’à la source d’en haut. Les plus crasseux, se sont mis nus jusqu’à la ceinture et lotionnés copieusement d’eau glacée… »
« …Les pattes, le museau, le crâne, les dents, les abatis ! J’ai tout brossé, rincé, décrassé !
Je renais, mon vieux, je renais ! »

Ce mois de mars 2020 est vraiment exceptionnel ! Nous profitons du beau temps pour bouger un peu : nous courrons autour de la maison : 5 tours au début, puis 1 tour de plus chaque jour.
La radio crie une musique entraînante, puis une 2ème et enfin la dernière ; il est alors temps d’arrêter, de souffler, de s’étirer pour éviter les courbatures du lendemain : nous avons chaud, nous transpirons, un grand verre d’eau nous régénère !
Normal, nous sommes en 2020 !
Je pense à « Ceux de 14 »
« …Le ruissellement de la pluie ne cesse pas. Les arbres laissent pendre leur feuillage comme une chevelure mouillée ; et de chaque branche coulent des gouttes pressées qui s’écrasent sur la jonchée des feuilles. Lorsqu’on les foule aux pieds, on les sent gorgées d’eau, déjà pourries. Au fond de la tranchée s’étalent des mares bourbeuses où mes poilus vont pataugeant, lamentables et résignés… »
« …Je bois d’une longue gorgée, un peu d’eau restée au fond de mon bidon. On n’a rien mangé depuis la veille. Quand nous arrivons au ruisseau, les hommes se ruent vers la berge, et goulûment se mettent à boire, accroupis vers l’eau bourbeuse et lapant comme des chiens… »
Notre réfrigérateur est plein et lorsque les provisions diminuent, nous partons chez les commerçants restés ouverts : ils sont bien approvisionnés : légumes de toutes les couleurs en abondance, pyramides de fruits multicolores sur les étals, beurre et laitages de toutes marques, fromages des quatre coins de France bien alignés, rien ne manque pour des repas bons, copieux et garnis !
Normal, nous sommes en 2020 !

Je pense à « Ceux de 14 »
« …Nous venons de manger des morceaux de viande froide, mouillée, affadie, aussi quelques pommes de terre vertes trouvées dans un champ et qui ont cuit un peu sous les cendres… »
« …du bouillon chaud, du vrai bœuf en place de singe, des patates en place de riz, et aussi…d’vinez ! » des confitures de prunes ! Et si y a du sucre aux distribes, oh !… »
« …Poussant ses plats devant lui, cuiller en main, le cuistot va d’un homme à un autre et distribue à chacun sa pitance. Il court presque, lance ses biftecks à la volée, précipite les cuillerées de riz au fond des gamelles qu’on lui tend… »
Durant ces longues journées de printemps, nous devons nous occuper : nous apprenons la lenteur, nous avons le temps, nous vidons les armoires, nous trions les vêtements démodés, ceux qui ne sont plus à notre taille… qu’est-ce que l’on peut entasser !
Normal, nous sommes en 2020 !

Nous nettoyons les placards, lavons les carreaux, dans le jardin nous coupons, désherbons, arrachons, préparons la terre pour recevoir les plans, les semences, les fleurs et lorsque nous avons fini, nous nous distrayons grâce au petit écran. Normal, nous sommes en 2020 !
Nous prenons des nouvelles des uns et des autres : un coup de fil, un message, un courriel… nous avons le choix, aujourd’hui, nous ne manquons pas de moyens de communication : téléphone mobile, ordinateurs fixe et portable, tablette ! Normal, nous sommes en 2020 !
Je pense à « Ceux de 14 »
« …Les obus nous suivent, marmites et shrapnells. Trois fois, je me suis trouvé en pleine gerbe d’un shrapnell, les balles de plomb criblant la terre autour de moi, fêlant des têtes, trouant des pieds ou crevant des gamelles. On va, dans le vacarme et la fumée, apercevant de temps en temps, par une trouée, le village, la rivière sous les arbres. Et toujours, par centaines, les obus nous accompagnent… »
« …Des crampes brutales nous étreignent les bras : des épaules jusqu’au bout des doigts, nos muscles tremblent… ».
« …voilà ce que nous a raconté un sapeur qui arrive de là-bas, et qui garde encore au fond des yeux l’horreur de ce qu’il y a vu. C’est devant cette mairie de village au toit bas, les yeux fixés sur ces quatre lignes dactylographiées par un scribe d’état-major, que j’ai éprouvé à défaillir une des émotions les plus bouleversantes qui puissent étreindre un cœur d’homme… »

Tous les soirs, à 20H, un long murmure traverse les maisons, les immeubles, la ville ! Nous avons rendez-vous avec les soignants sur le pas de notre porte ; nous applaudissons bien que les rues soient désertes, nous entendons les gens frapper des mains, jouer de la musique, taper sur des casseroles, crier ! Il nous semble que la vie reprend l’espace de 5mn, puis d’un coup, les cris s’estompent, les bruits se taisent, le silence reprend sa place. Normal, nous sommes en 2020 !
Je pense à « Ceux de 14 »
« …Et le soir vient, dont le froid nous enveloppe et nous prend… Devant nous, d’autres flammes surgissent, fulgurantes, et le fracas des projectiles qui éclatent ébranle rudement l’étendue. Une lueur m’éblouit, une explosion assourdissante me frappe le visage d’un flot d’air brûlant. Devant nous, d’autres flammes surgissent, fulgurantes, et le fracas des projectiles qui éclatent ébranle rudement l’étendue… ».
« …Couché sur une civière, dans le réduit encombré d’outils et de planches, Sicot a gardé les yeux ouverts. A la lueur d’une chandelle qui est là, sa face exsangue semblerait morte, n’étaient ses yeux toujours vivants. Il me voit, me reconnaît, et sans rien dire, pendant que je le regarde, il pleure à grosses larmes lentes d’être sûr qu’il va mourir. « Au revoir, Sicot… Tu seras ce soir à l’hôpital de Verdun… On y est bien… Il y a des toubibs épatants… »

La nuit est tombée, il est tard, c’est l’heure de rejoindre la chambre : mon lit m’attend, recouvert d’une couette de duvet, d’une couverture bien chaude, je m’allonge, éteint, et m’endors après avoir écouté les dernières nouvelles de la journée à la radio.
Normal, nous sommes en 2020 !
Je pense à « Ceux de 14 »
« …Je suis perclus. Le froid a gagné mes jambes et mes bras, puis tout mon corps. Il pénètre partout, colle à la peau comme une ventouse. Pas moyen de dormir tellement il fait froid : j’ai les mains sans connaissance et le pied droit… ai-je même un pied droit… ? »
« Lorsqu’en descendant, nous sommes rentrés dans la maison pour tendre nos serviettes devant le tuyau du fourneau, nous avons trouvé notre matelas plus sordide que jamais : il est suiffeux ! Nauséeux ! Graisseux ! Gadouilleux ! Poileux ! Vaseux ! Vermineux… Il nous a pourtant accueillis avec mansuétude lorsque nous nous sommes allongés, côte à côte, à nos places de la nuit. »
Alors ? Que dire… ? Serons-nous différents après le confinement ?
Avons-nous le droit de nous plaindre, nous qui sommes chez nous, qui avons le confort et les moyens de communication à notre disposition pour ne pas ressentir la vraie solitude ?
Il faut relativiser… pensons à « Ceux de 14 » !
Je pense bien sûr à tous les jeunes qui sont empêchés de travailler, à tous ceux qui sont à leur compte et ont des crédits à rembourser, je pense aux parents qui remplacent les instituteurs et professeurs pendant qu’eux-mêmes télé travaillent, je pense aux enseignants qui ont dû s’adapter pour continuer les cours, je pense à toutes les familles confinées dans leurs petits appartements sans soleil, sans terrasse, sans balcon qui doivent développer des trésors de patience, je pense à toutes les personnes qui ne reçoivent pas de visite, je pense à toutes les familles en deuil qui accompagnent leurs proches dans la plus stricte intimité et je pense aux soignants et à tous les personnels qui tous les jours, risquent la contamination pour aller soigner, guérir et apaiser !
Courage – Patience – Bienveillance – Prenons soin les uns des autres !